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xi jinping - Page 2

  • Trump, faute de mieux ?...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque les prochaines élections présidentielles américaines. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019) et La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020).

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    Alain de Benoist : « La victoire de Donald Trump est souhaitable, faute de mieux… »

    L’élection présidentielle américaine se rapproche à grands pas. À titre personnel, souhaitez-vous la réélection de  ? Un second mandat de ce président vous réjouirait-il, ne serait-ce que pour voir la tête de ses opposants, américains comme européens ?

    Je souhaite sa réélection, mais à défaut ou faute de mieux. Comme vous le savez, le personnage n’a pas grand-chose pour me plaire. Ce n’est pas tant ce qu’on lui reproche habituellement (son style, sa brutalité, sa vulgarité) qui me choque, car je pense que c’est au contraire ce qui lui vaut d’être apprécié de bon nombre d’Américains, ce qu’on s’entête à ne pas comprendre de ce côté-ci de l’Atlantique. C’est plutôt que son projet me paraît nébuleux, que sa politique étrangère est à mon avis exécrable, et que l’homme ne convient pas pour diriger ce qui demeure quand même (provisoirement au moins) la première puissance mondiale. Il n’y a, au fond, que trois véritables chefs d’État dans le monde d’aujourd’hui : Vladimir Poutine, héritier de l’ancien Empire russe, Xi Jinping, héritier de l’ancien Empire chinois, et Recep Tayyip Erdoğan, qui cherche à recréer l’ancien Empire ottoman. Donald Trump a sans doute des qualités, mais il n’a pas la dimension d’un homme d’État.

    Pourquoi le soutenir, alors ? Parce que , c’est cent fois pire. Non du fait de sa personnalité falote et fatiguée, mais en raison de tout ce qu’il représente : l’Establishment, l’État profond, la soumission à l’idéologie dominante, l’immigrationnisme, le progressisme, le capitalisme déterritorialisé, le politiquement correct, Black Lives Matter, les médias de grand chemin, bref, cette abominable Nouvelle Classe dont la sorcière Hillary Clinton était déjà la représentante, il y a quatre ans. Pour barrer la route à , et à sa coéquipière Kamala Harris (qui aurait de bonnes chances de lui succéder en cours de mandat), je serais même prêt à voter Mickey !

    Mais Trump a-t-il encore des chances de l’emporter ?

    Je le crois. J’ai proposé plusieurs fois de faire la distinction entre le personnage Donald Trump et le phénomène trumpiste, qui est avant tout un réflexe populiste de contestation de tout ce que représente l’Establishment. Trump est contestable, mais le trumpisme est autre chose. Toutes proportions gardées, on pourrait le comparer à ce qu’on appelle, chez nous, « la France périphérique ». Les Américains sont extrêmement différents des Européens (beaucoup plus que ne le croient ces derniers), mais le schéma de base est le même : les classes populaires contre les élites mondialisées, les sédentaires contre les mobiles, le peuple contre les citoyens du monde, le bas contre le haut.

    Dans les États-Unis d’aujourd’hui, cette opposition s’est cristallisée pour donner naissance à deux blocs qui ne se parlent même plus. De part et d’autre, on ne veut plus seulement remporter les élections, mais anéantir ceux d’en face. Voulez-vous un chiffre révélateur, et même stupéfiant ? 15 % des républicains et 20 % des démocrates estiment que l’Amérique se porterait mieux si leurs rivaux « mouraient ». Du jamais-vu. C’est que la politique a changé. Les hommes et les femmes politiques, aux États-Unis, ne se présentent plus désormais aux élections en vantant leurs compétences, mais en tant que femmes, qu’homosexuels, qu’Afro-Américains, qu’Hispaniques, etc. L’identity politics, alimentée par le politiquement correct, a tout envahi. Ce qui veut dire que les enjeux politiques sont désormais subordonnés à des enjeux culturels et anthropologiques

    C’est pour cela que, contrairement à ce qui se passait autrefois (lorsque les programmes des républicains et des démocrates pouvaient paraître plus ou moins indiscernables, surtout à nos yeux), tous les sondages montrent que cette élection présidentielle est jugée par les Américains comme d’une importante exceptionnelle (87 % parlent d’un point de bascule irréversible), et surtout qu’il y a parmi eux très peu d’indécis. C’est la raison pour laquelle les deux candidats ne cherchent pas tant à débaucher des partisans de leur adversaire qu’à consolider leurs camps respectifs. Et c’est aussi ce qui explique que le premier débat Trump-Biden se soit soldé par un échange d’injures d’une violence (verbale) encore impensable chez nous. Que ce soit le trumpisme ou la Nouvelle Classe qui l’emporte, ce sont des conceptions du monde différentes qui sont en jeu.

    Quel bilan tirer de ces quatre ans de trumpisme ? Sa réélection serait-elle une bonne nouvelle pour les États-Unis et, plus important, pour la France et pour l’Europe ?

    Le bilan est difficile à évaluer. Il est sans doute meilleur que ne le disent les adversaires de Trump, mais plus mauvais que ne le disent ses partisans. Comme Trump a passé un temps considérable à échapper aux chausse-trapes où l’on cherchait à le faire tomber, et qu’il n’a pu y parvenir qu’en navigant à la godille entre des « conseillers » d’inspiration opposée, il est en outre difficile de savoir quelles sont les initiatives qui lui reviennent vraiment.

    En ce qui concerne sa politique étrangère – la seule qui devrait nous intéresser -, le bilan est franchement mauvais. Trump n’aime visiblement pas l’Europe, ce en quoi il ne se distingue de ses prédécesseurs que par le fait de ne pas s’en cacher. Au début, il a tenté de se rapprocher de la Russie dans l’espoir de la détourner de l’alliance chinoise, mais comme il n’a cessé d’être accusé d’être « au service des Russes », il y a rapidement renoncé. Son ennemi principal est la Chine. L’axe qu’il privilégie est l’axe Washington-Riyad-Tel Aviv, ce qui satisfait aussi bien les néoconservateurs que les évangéliques, mais se trouve être parfaitement contraire aux intérêts européens. Mais avec Joe Biden, ce serait là aussi encore pire. Rappelez-vous ce que François Mitterrand confiait à Georges-Marc Benamou : « Ils sont durs, les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde. La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre contre l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort. »

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 14 octobre 2020)

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  • Le syndrome des « États défaillants », ou l’autodestruction de l’Occident...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Maxime Chaix, cueilli sur Deep News Media, dans lequel il évoque l'accélération du processus de déclin des Etats-Unis. Journaliste indépendant, Maxime Chaix a publié La guerre de l'ombre en Syrie (Erick Bonnier, 2019).

     

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    Le syndrome des « États défaillants », ou l’autodestruction de l’Occident

    Le 26 décembre 1991, « le Conseil des républiques du Soviet suprême de l’URSS déclare que (…) l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques en tant qu’État et sujet du Droit international cesse d’exister. » Ce jour-là, le Président George Bush déclara que, « dans ce monde interconnecté, nous ne réussirons qu’en continuant de mener le combat pour la liberté des peuples et pour un commerce libre et équitable. Une économie mondiale libre et fructueuse est essentielle à la prospérité de l’Amérique – ce qui signifie des emplois et la croissance économique ici-même, sur notre sol ». En ces termes, il affirmait que le peuple des États-Unis serait le premier bénéficiaire de la globalisation, tandis que leur nation s’imposait comme l’hyperpuissance mondiale incontestée.

    Or, ses successeurs ont dramatiquement accéléré le processus de paupérisation de leurs concitoyens à travers leurs politiques libre-échangistes, qui ont dépecé l’appareil industriel des États-Unis au profit de l’Empire du Milieu. Comme l’a récemment observé le journaliste Aris Roussinos, « il y a quelques mois seulement, le fait de s’alarmer sur notre dépendance envers la Chine et sur la fragilité de nos chaînes d’approvisionnement – donc d’en appeler au découplage vis-à-vis de cette nouvelle puissance hégémoniste –, était considéré (…) au mieux comme romantique, au pire comme xénophobe. Lorsque Trump [s’en est ému], l’autocrate chinois Xi Jinping fut ovationné à Davos, et salué comme le nouveau champion de l’ordre mondial libéral. Mais à présent, Larry Summers – le grand prêtre de la mondialisation et de la délocalisation vers la Chine –, nous met en garde contre la fragilité de nos chaînes d’approvisionnement et l’urgence du découplage, sans toutefois rappeler sa longue et brillante carrière d’architecte de cette catastrophe. »

    Soulignant le discrédit de cet ordre mondial imposé par Washington, Aris Roussinos décrit la globalisation imposée depuis l’ère Clinton comme « un processus à travers lequel les économies occidentales avancées ont unilatéralement cédé leur capacités productives à la Chine – une puissance rivale qui montait en puissance. Au lieu de faire de même, comme l’anticipaient les calculs panglossiens des théoriciens néolibéraux, Pékin s’est livrée à un mercantilisme (…) impitoyable dans la poursuite de ses propres intérêts. Comme l’a récemment écrit (…) Michael Lind dans Tablet, “les politiciens qui, à l’instar de Clinton, défendent et imposent la mondialisation ont affirmé à l’opinion que le but de l’ALENA et de l’admission de Pékin à l’OMC était d’ouvrir les marchés du Mexique et de la Chine à “tous les biens américains fabriqués aux États-Unis, du maïs aux produits chimiques en passant par les ordinateurs”. Or, deux décennies plus tôt, les multinationales américaines et leurs lobbyistes savaient que ce raisonnement était fallacieux. Depuis le début, leur objectif était de transférer la confection de nombreux produits du territoire américain vers le Mexique ou la Chine, afin de profiter de la main-d’œuvre étrangère à bas coût et, dans certains cas, des subventions des gouvernements locaux et d’autres faveurs. »

    Cette destruction organisée des capacités productives aux États-Unis, et plus largement dans de nombreux pays occidentaux, date en réalité de l’ère Reagan. En effet, la dérégulation néolibérale amorcée par ce Président fut aggravée par ses successeurs, ce qui a fini par déstabiliser l’ensemble du système financier global. Selon l’économiste colombien Daniel Munevar, « cette tendance (…) a ensuite été poursuivie par l’administration de George Bush senior, approfondie par le gouvernement du démocrate [Bill] Clinton et portée à ses extrêmes par George W. Bush. La dérégulation du système financier a créé les conditions d’une expansion sans précédent du crédit privé, semant par là-même les germes de la crise financière actuelle et, par conséquent, de la récente explosion de la dette publique. » Comme l’a souligné le commissaire et spécialiste de la criminalité financière Jean-François Gayraud, « les lois de dérégulation ont mis en place une nouvelle architecture du monde autour [du triptyque] (…) “privatisations, rigueur budgétaire, libre-échange” ». Et comme l’a observé l’économiste Jean-Michel Quatrepoint, ce processus a eu des conséquences particulièrement néfastes en Occident (chômage de masse, désindustrialisation, explosion des inégalités, etc.). Faisant campagne contre la globalisation économique, Donald Trump a fini par remporter les élections en promettant de « restaurer la grandeur de l’Amérique ».

    Manifestement, les effets catastrophiques du confinement sur l’économie réelle américaine ont balayé ce projet. Aujourd’hui, les États-Unis apparaissent donc comme un État défaillant, qui accumule les vulnérabilités et qui renonce explicitement à son leadership global. Parmi ces faiblesses structurelles, l’on peut identifier :

    1) l’explosion du chômage, soit près de quarante millions de nouveaux demandeurs d’emploi depuis la mi-mars. En parallèle, on observe la déconnexion totale de Wall Street vis-à-vis de l’économie réelle, sachant que « le marché boursier a bondi de plus de 32% depuis le 23 mars, [alors que] l’économie américaine s’est effondrée » ;

    2) la menace correspondante d’une nouvelle pénurie de crédits (« credit crunch »), dans une économie américaine qui est massivement alimentée par l’endettement des ménages ;

    3) l’effondrement de l’industrie locale du pétrole et du gaz de schiste, sachant qu’une vague de faillites est anticipée par les experts du Financial Times. Soulignons au passage que « les quatre plus grands établissements [bancaires] de l’Hexagone ont accordé 24 milliards de dollars de financement aux entreprises du secteur en Amérique du Nord » ;

    4) les risques liés à l’endettement massif des étudiants des universités américaines, qui est de l’ordre de 1 600 milliards de dollars. Bien que certains analystes tentent de nous rassurer sur cette épineuse question, il s’avère que « la crise du Covid-19 pourrait conduire des millions d’Américains à lutter désespérément pour rembourser leurs dettes universitaires » ;

    5) l’endettement gargantuesque des municipalités américaines, qui atteint les 3 900 milliards de dollars. Selon « les analystes d’UBS Global Wealth Management, le marché des obligations municipales de 3 900 milliards de dollars se dirige vers la plus grande tempête financière que l’on ait jamais observée. L’effondrement économique fulgurant des États-Unis frappe presque chaque secteur du marché, qui s’étend bien au-delà des États et des villes qui ont le pouvoir d’augmenter les impôts » ;

    6) la situation sécuritaire épouvantable, sur le plan intérieur, qui pousse Donald Trump a la surenchère face à des émeutes dont on peine à comprendre les ressorts, mais que l’on ne peut résumer à une insurrection dont les motifs se limiteraient à la dénonciation du racisme et des violences policières.

    En effet, comme l’a théorisé l’universitaire Peter Turchin, « les causes des rébellions et des révolutions sont à bien des égards similaires aux processus qui provoquent des tremblements de terre ou des incendies de forêt. Dans les révolutions et les tremblements de terre, il est utile de distinguer les “pressions” (conditions structurelles, qui s’accumulent lentement) des “déclencheurs” (événements spontanés de libération, qui précèdent immédiatement une éruption sociale ou géologique). Les déclencheurs spécifiques de bouleversements politiques sont difficiles, voire impossibles à prévoir avec précision. Chaque année, la police tue des centaines d’Américains : noirs et blancs, hommes et femmes, adultes et enfants, criminels et citoyens respectueux des lois. Les policiers américains ont déjà tué 400 personnes au cours des cinq premiers mois de l’année 2020. Pourquoi est-ce le meurtre de George Floyd qui a déclenché cette vague de protestations ? Contrairement aux déclencheurs, les pressions structurelles s’accumulent lentement, de manière plus prévisible, et se prêtent à l’analyse et à la prospective. En outre, de nombreux événements déclencheurs eux-mêmes sont finalement causés par des pressions sociales refoulées qui cherchent un débouché – en d’autres termes, par des facteurs structurels. Mes lecteurs connaissent les principales pressions structurelles qui sapent la résilience sociale : la paupérisation massive, les conflits intra-élites et la perte de confiance dans les institutions de l’État. »

    Ce chercheur ajoute qu’il est « certain que les ressorts structurels profonds de l’instabilité continuent de fonctionner sans relâche. Pire encore, la pandémie de Covid-19 a exacerbé plusieurs de ces facteurs d’instabilité. En d’autres termes, même après que l’actuelle vague d’indignation causée par le meurtre de George Floyd s’estompera, d’autres déclencheurs continueront d’engendrer de nouveaux incendies, du moins tant que les forces structurelles qui continuent de saper la stabilité des nos sociétés leur fourniront du carburant à outrance. » En 2010, Peter Turchin avait anticipé que « la paupérisation massive, les conflits intra-élites et la perte de confiance dans les institutions de l’État » engendreraient une décennie d’instabilité aux États-Unis, en France, au Royaume-Uni, en Espagne et en Italie. À son grand regret, il ne s’est pas trompé. Par conséquent, si l’on considère que les États-Unis sont un État défaillant, il est clair que nos démocraties européennes sont loin d’être à l’abri d’un tel déclin dans le contexte actuel.

    Maxime Chaix (Deep-News.media, 3 juin 2020)

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  • Coronavirus : fin de modèle et nouvelle donne ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Guilhou cueilli sur le site de la revue Conflits et consacré aux conséquences géopolitiques de la crise sanitaire. Spécialiste de la gestion des crises, Xavier Guilhou a exercé des responsabilités au sein de la DGSE puis au sein de grandes entreprises privées.

     

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    Coronavirus : fin de modèle et nouvelle donne ?

    Un simple virus, au demeurant connu, très contagieux, a réussi à mettre à genoux toutes les puissances du monde en à peine trois mois. Avec l’entrée de l’Inde, nous avions au mois de mars près de 3 milliards de personnes et une cinquantaine de pays sur 175 en logique de confinement total ou partiel, soit près de la moitié de la population, mais 95 % du PIB mondial. Il ne s’agit pas d’une « crise » au sens propre du terme. Nous sommes confrontés à quelque chose de beaucoup plus important qui touche pour le moment la globalité de nos systèmes de vie à l’échelle de l’hémisphère nord. La perspective d’une contamination par le Covid-19 de l’hémisphère sud nous fera rentrer assez rapidement dans d’autres scénarios sanitaires qui seront moins mercantiles et financiers dans leurs conséquences et plus préoccupants sur les plans humanitaires et sécuritaires.

    Nous sommes face à une catastrophe mondiale provoquée par un épisode pandémique qui impacte les puissants et les riches du monde, avec un pilotage sur le terrain qui ressemble étrangement sur le plan politico-médiatique à celui d’une quasi-guerre bactériologique. Et pourtant, nous ne sommes pas confrontés à une « guerre » classique avec un ennemi désigné. Au-delà des querelles d’experts, que pouvons-nous retenir d’ores et déjà de la lecture des événements comme points fondamentaux ?

    Dans un premier temps, la fulgurance de cette épidémie qui balaye tous les méridiens de la planète pose la question des limites de la globalisation comme clé de voute de l’organisation des facteurs de puissance au niveau mondial. Cette pandémie démontre que les marqueurs de la globalisation, appelés aussi « chaîne de la valeur », peuvent voler en éclats instantanément dès que des questions vitales se posent pour les populations. Elle fait non seulement ressortir la fragilité de nos interdépendances avec les ruptures des supply chain, la vulnérabilité de nos réseaux de communication et surtout l’extrême fébrilité des dispositifs financiers qui vivent sur l’instrumentalisation de spéculations virtuelles. Or ce simple coronavirus fait la démonstration que, dès que tout s’arrête pour des questions vitales, cette utopie de l’uniformisation bascule immédiatement en mode échec. De fait, la vraie catastrophe qui se cache derrière cette pandémie va être vraisemblablement l’explosion des bulles financières. Elle interpelle aussi nos populations sur la validité à terme de nos modèles de vie qui risquent d’imploser, notamment en termes de gouvernance, tant ils se révèlent superficiels et peu robustes face à de tels événements. Mais ne prenons pas trop nos rêves pour des réalités, la pratique des crises montre qu’il y a une propension à oublier rapidement et à réitérer les mêmes erreurs, la nature humaine et la cupidité étant ce qu’elles sont…

    Du retour des frontières

    Le second constat que nous pouvons faire en observant les postures adoptées sur les différents continents est le retour incontestable des frontières. Les grandes organisations internationales qui ont porté le multilatéralisme et le multiculturalisme ont disparu des écrans. Les plates-formes intergouvernementales ont été inefficientes et inaudibles, qu’il s’agisse du G7, du G20, de l’Union européenne, ou étrangement absente comme l’OMS. Tout ce qui faisait illusion sur les débats climatiques ou énergétiques s’est évaporé au fil des semaines. Les procédures éditées par des armées de bureaucrates pour normaliser les relations internationales ont été contournées pour rallier des postures adaptées à chaque territoire. À cet égard, l’Union européenne a été sûrement l’organisation la plus inconséquente et indolente face à cette urgence sanitaire, ce qui n’a fait qu’aggraver les fractures entre les membres et contribuer à accentuer son discrédit en plus de son impuissance. De fait, nous avons assisté à un repli quasi immédiat de tous les pays sur leurs frontières historiques avec la réémergence des principes de souveraineté attachés à chaque peuple. Ceux qui ont pratiqué le refus ou le déni ont été vite rattrapés par la brutalité de la réalité, voire l’intransigeance de leurs voisins immédiats. À l’angélisme un peu infantile porté par les tenants d’une mondialisation heureuse s’oppose désormais le retour brutal de la question de fermetures des frontières, voire de la construction de murs sur nos glacis stratégiques, pour ne prendre que l’exemple du chantage turc avec ses cohortes de migrants sur le flanc oriental de l’Europe.

    À la réaffirmation de la culture

    De fait, chacun a réimprimé sa marque en termes de gouvernance en s’appuyant sur une affirmation de ses fondamentaux culturels, voire civilisationnels entre l’Asie et l’Occident, dans le traitement des événements. La Chine, à l’instar des autres pays asiatiques concernés par la pandémie, a pratiqué la méthode coercitive autoritaire, que nous pouvons toujours contester avec notre vision des libertés en Occident, mais qui correspond parfaitement à l’esprit asiatique où le collectif l’emporte sur l’individu. Il suffit de relire La tentation de l’Occident d’André Malraux pour bien comprendre les ressorts de l’adhésion des populations soumises en Chine, ou civiques comme en Corée, au Japon ou à Singapour, face à des événements où la valeur de la vie n’a pas la même signification que sur nos rivages imbibés de monothéismes. Cette prégnance des différences culturelles est encore plus explicite dans nos postures européennes. En Allemagne, comme en Suisse, ou dans les pays de l’Europe du Nord, tout est piloté à partir des Landers, des provinces, des cantons et des villes avec une très forte décentralisation et une responsabilisation de chacun, du fait de la culture protestante. Les pays latins qui sont très marqués par l’individualisme et le catholicisme sont aux antipodes. C’est aussi le cas de la France, avec son mode de fonctionnement État-nation centralisé avec une vision régalienne, protégé par des corps d’experts accrédités. Il est intéressant aussi d’observer l’organisation nord-américaine qui est singulière, notamment en termes de résilience. Les Américains ont une véritable culture du risque, associée à leur pratique de la démocratie soutenue par une croyance évangélique que l’on ne peut pas sous-estimer. C’est un peuple issu d’une culture de migrants qui « fait face » et qui a une véritable éducation des crises majeures. Même chose pour la Russie qui, en plus de sa très grande rusticité, incarne une vision salutaire de sa mission, celle de la troisième Rome, lui permettant d’accepter des niveaux d’abnégation et de patriotisme comme peu de peuples en sont capables. Après il y a le reste du monde, soit quasiment la moitié de la population mondiale, où le pilotage se fait sur des critères communautaires, claniques, ethniques, religieux et où la gouvernance est marquée par une corruption endémique. Sur ces territoires de l’hémisphère sud, voire sur nos propres zones grises, nous ne sommes plus sur des approches rationnelles avec des moyens sanitaires sophistiqués et la résilience se confond avec la précarité des logiques de vie.

    L’hystérie dans la gestion

    Enfin, nous ne pouvons pas occulter le côté hystérique de la surmédiatisation de cette actualité. Le monde a vécu de multiples pandémies avec des niveaux de mortalité que nous ne connaissons plus depuis un siècle. Les dernières en date qui sont présentes dans l’inconscient collectif sont les vagues de grippes asiatiques en 1957/1958 et en 1968/1970 qui ont fait au niveau mondial 1 million de morts, voire la grippe espagnole avec ses 50 millions de morts en 1918. Le VIH depuis les années 1980 totalise à lui seul entre 25 et 35 millions de morts. Plus personne n’a une idée de ce que fut la mortalité mondiale sur ces questions épidémiologiques rapportée à la démographie au cours des siècles du fait des progrès de la médecine et de la science. Pourtant, les modes de représentation qui sont véhiculés actuellement avec quelques dizaines de milliers de victimes au niveau mondial sont quasiment apocalyptiques pour celui qui n’a pas un peu de capacité de recul et d’esprit critique. Cette question des ressentis et des imaginaires collectifs est fondamentale dans ce type d’événements. Comme le dit très bien Michel Maffesoli, nous avons quitté le monde de la rationalité pour entrer dans celui de la postmodernité où l’émotion et l’instantanéité deviennent les éléments dimensionnant de nos modes de perception du réel. Tous les bilans chiffrés qui sont énoncés par les scientifiques ou les politiques à l’écran sont systématiquement interprétés comme l’annonce d’un effondrement immédiat du monde. Nous ne pouvons que constater actuellement la surcharge d’irrationalité qui règne à tous les niveaux, peut-être encore plus dans les étages décisionnels qui sont pris dans leurs dilemmes à la fois idéologiques, corporatifs et technocratiques. Il y a une vraie difficulté pour prendre en compte le réel d’autant que nos sociétés, notamment européennes, n’ont plus connu de véritables catastrophes depuis sept décennies. Elles n’ont connu que des crises de bien-être et n’ont plus de vrais référentiels en termes de maîtrise des risques. Elles sont au contraire imprégnées quotidiennement de « risque zéro » et de « zéro mort ». C’est ce choc entre la brutalité de la réalité et la virtualité des concepts qui fait exploser les peurs et développe de façon virale la défiance envers les élites. Les peurs générées deviennent quasiment plus dangereuses et pernicieuses que le virus lui-même. Elles saturent les écrans, submergent les réseaux sociaux, sidèrent les opinions et affolent les populations !

    Un gagnant, la Chine ?

    En conclusion, la conjonction de tous ces processus de délitement des utopies, du retour des frontières et de l’emprise de l’irrationnel dans le fonctionnement de nos sociétés, ne peut que nous interpeller sur ce que sera « la sortie de crise » de cette pandémie mondiale. Il est à craindre que la sortie soit le prétexte de l’ouverture d’un nouveau grand jeu international où, forts de tous les effets dominos générés par ces événements, les puissants de ce monde soient tentés de réactualiser les postures en termes de rapports de force. Cela paraît inévitable, d’autant que nous étions, juste avant l’arrivée du Covid-19, face à un agenda géopolitique très incertain avec entre autres les inconnues liées au Brexit, à l’élection américaine, à la succession de Poutine et aux critiques internes envers Xi Jinping. Il est clair que l’agenda provoqué par cette vague épidémique au niveau mondial arrive paradoxalement à un moment opportun, si ce n’est décisif pour Xi Jinping. Après sa communication planétaire autour de la route de la soie, il est temps pour lui de bien faire comprendre que la Chine va enfin devenir en 2020/2021 la première puissance mondiale. La tentation est très forte de profiter de cet espace-temps stratégique avec des élections américaines qui pourraient être déstabilisées par une récession inattendue. L’Amérique ne serait donc plus first and great again ! Comment pourrait réagir l’oncle Sam face à un tel déclassement ? Et pourtant, cette crise révèle au monde combien tous nos pays sont devenus dépendants et redevables de la Chine ! Les grands groupes mondiaux le savent, ils ont tout fait pour que les États abandonnent toute souveraineté et valident délocalisations et transferts de richesse. Nous payons aujourd’hui le prix de ce pacte faustien !

    On ne peut qu’essayer de se projeter en termes d’anticipation stratégique. Pour Xi Jinping cette actualité lui permet non seulement de réduire à néant ses oppositions internes, de réduire toute dissidence au sein de ses instances dirigeantes et désormais de se porter en quasi sauveur du monde. De façon symbolique, il se montre « chevaleresque » en produisant et distribuant aux Européens des milliards de masques, mais il va beaucoup plus loin en démontrant au monde qu’il est aussi devenu leader sur les systèmes d’information et sur les questions de santé grâce à sa maîtrise de l’intelligence artificielle, seule réponse à un monde interconnecté avec 60 % de la population urbanisée. Ce n’est pas pour rien que Donald Trump est entré dans le pilotage de cette pandémie entouré, non pas de généraux, mais des patrons de la Silicon Valley et des grandes compagnies pharmaceutiques. Les guerres du xxie siècle ne se jouent plus avec de la métallurgie, mais avec des algorithmes. Finalement, à qui va profiter le crime ?

    Cette pandémie va contribuer à redistribuer les cartes à très grande vitesse et de fait toutes les instrumentalisations vont être bonnes pour désigner qui sera demain dans le bien ou le mal. Les Chinois ont commencé en accusant les Américains d’être désormais à l’origine du virus ! Et un leader comme Trump n’hésite pas pour sa réélection à parler du « virus chinois ». Il faudra bien expliquer aux électeurs du Middle West pourquoi des Américains sont morts alors que la reprise économique et le plein-emploi étaient au coin de la rue. Et surtout pourquoi l’Amérique ne pourra plus être great again. Il n’est pas inimaginable que dans cette perspective, Trump bouscule les conventions internationales et discute ouvertement avec Poutine, désormais assuré de sa propre succession, de la construction d’un nouveau leadership des vieux mondes chrétiens sur l’hémisphère nord pour faire face aux prétentions chinoises. D’autant que Vladimir Poutine verrouille l’ancien monde, celui issu des énergies fossiles du xxe siècle, avec ses victoires tactiques sur le nœud syriaque et son pilotage de la crise actuelle sur les cours du pétrole face à l’Arabie saoudite. Le Coronavirus est peut-être une bonne illustration de cet art subtil pratiqué par les Asiatiques qui consiste à gagner des guerres sans avoir à livrer bataille. Mais dans cette partie à trois, il ne faut pas sous-estimer l’oncle Sam et le tsar, ils n’ont pas encore été frappés d’impuissance comme l’Europe…

    Xavier Guilhou (Conflits, 18 mai 2020)

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  • La Chine à nos portes...

    Les éditions Odile Jacob viennent de publier un essai de François Godement et Abigaël Vasselier intitulé La Chine à nos portes - Une stratégie pour l'Europe. François Godement est historien, professeur des universités à Sciences Po, et spécialiste de la Chine. Il est membre de l'European Council on Foreign Relations, organisme sans lien avec le think tank américain Council on Foreign Relations...

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    " La Chine est omniprésente. Après ses marchandises, ce sont ses services qui vont être proposés en masse aux consommateurs européens.
    Nos technologies de pointe sont déjà la cible de ses investissements. Et c’est aujourd’hui toute l’Europe qui est sous influence au moyen de réseaux visant nos décideurs – politiques, hauts fonctionnaires, intermédiaires d’affaires,
    universitaires –, tous attirés par l’eldorado chinois.

    Ce livre est né des défis que pose la Chine de Xi Jinping aux Européens.
    Il cerne avec précision la menace qu’elle fait peser sur l’Europe, notamment en privilégiant des relations bilatérales avec chaque pays, et montre que, si l’Union européenne est désormais plus réaliste, elle doit passer à la vitesse supérieure. Un impératif qui suppose qu’elle sache identifier ses intérêts
    fondamentaux et fasse les bons choix d’alliance. "

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  • Tour d'horizon... (137)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur la lettre de Comes Communication, Bruno Racouchot interroge Jean-Vincent Holeindre sur le retour en force de la ruse comme outil stratégique...

    L'éternel pouvoir de l'intelligence : la guerre entre ruse et force

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